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Histoire(s) de la copropriété

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Depuis les empires babylonien et romains jusqu’aux années soixante-dix, les concepts de la copropriété ont accompagné l’évolution des sociétés et des politiques publiques. Aujourd’hui encore, c’est la loi du 10 juillet 1965 qui régit la copropriété en France. L’avocat spécialisé Pierre-Édouard Lagraulet nous dresse quelques repères historiques, pour saisir les prémices de ce statut.

Entre appropriation individuelle et administration commune

« Historiquement, la copropriété est d’abord une indivision, rappelle Pierre-Édouard Lagraulet, avocat au barreau de Paris, docteur en droit et coauteur du Code de la copropriété. Il s’agit à l’origine de l’appropriation d’un bien, immeuble ou potentiellement meuble, puisqu’existait aussi la copropriété de navire ou bien encore de cheval. » Il faut aller chercher dans le Code de Hammurabi, texte juridique babylonien daté d'environ 1750 av. J.-C., les prémices « d’une forme de règle » relative « à la propriété du dessous et du dessus avec celui qui possède un étage », explique Pierre-Édouard Lagraulet. Le droit romain ? « Il ne dit rien sur le sujet », assure l’avocat. Avant de nuancer : « Les Romains étaient des techniciens du droit très habiles, mais très matérialistes. La vente d’un bien supposait que l’acheteur remette une fraction du bien au vendeur, elle était palpable. » La rencontre entre l’empire romain d’Orient et Babylone la Perse aurait posé les bases de la copropriété moderne : un mélange entre les techniques d’appropriation du premier et les modes partagés d’indivision de la seconde. 

Grenoble et Rennes réinventent la propriété

Après un grand saut dans le temps, les formes d’indivision se diversifient au Moyen-Âge, avec des immeubles dont le rez-de-chaussée est souvent commercial et les niveaux supérieurs réservés à l’habitat. « À ce stade, il n’y a pas vraiment de parties communes, chacun s’occupe de son tronçon », raconte Pierre-Édouard Lagraulet.
Un basculement s’opère au XVIIIe siècle, consécutif à deux grands incendies qui ravagent Rennes et Grenoble. « La destruction de ces villes a obligé à des reconstructions plus hautes, plus larges, et conduites de façon complètement nouvelle : on a alors imaginé des immeubles avec des modes de gestion et d’appropriation différents des parties communes », poursuit Pierre-Édouard Lagraulet. Cette évolution des pratiques sera déterminante : « J’ai consulté des règlements de copropriété du début du XXe siècle où était ajoutée une référence à ʺla coutume de Grenobleʺ. »
Le second temps fort fut la Révolution française et ses conséquences : le Palais-Royal, monopropriété monumentale, n’a pas été épargnée par l’indivision ! Et les grandes familles qui possédaient Paris ont, elles aussi, été contraintes de diviser leurs biens. 
 

Reconstruction, construction, des facteurs déterminants

Entre les XVIIIe et XXe siècles, la copropriété reste un épiphénomène. « Il faudra attendre 1938 pour disposer d’une loi, qui sera totalement supplétive car elle laisse les copropriétaires décider seuls de leur organisation. » Conséquence : beaucoup d’abus dans l’administration des copropriétés, « c’était un nid à contentieux ! Le législateur estimait qu’il ne pouvait réglementer le droit de la propriété », résume l’avocat.
La Seconde Guerre mondiale va tout changer : il faut reconstruire la France. Des villes comme Le Havre deviennent alors des ʺvilles de copropriétésʺ, selon le même processus qu’avaient connu Grenoble et Rennes trois siècles auparavant. 
La deuxième vague de construction de grande ampleur sera lancée à la fin des années 1960, avec le retour des colons puis l’immigration. Une loi s’impose alors pour réglementer le statut des copropriétés. Elle est promulguée le 10 juillet 1965 et est encore en vigueur aujourd’hui. Le texte s’intéresse surtout au mode d’administration, avec la création des règles de majorité, du syndic et du conseil syndical. « Cette loi donne un cadre social. Par exemple en permettant la réalisation de travaux décidés à la majorité (et non plus à l’unanimité) pour installer des éléments de confort et d’hygiène. On voit la marque de l’État interventionniste », conclut Pierre-Édouard Lagraulet.
 

Une loi qui ne cesse de s’adapter

La loi de 1965 a traversé les décennies, en s’adaptant aux évolutions des besoins des copropriétaires. Ainsi, en cinquante ans, elle a connu une quarantaine de modifications législatives plus ou moins importantes, dont les plus récentes sont issues des lois Alur (2014) et ELAN (2018). « La loi a évolué mais sa structure n’a pas bougé, confirme Pierre-Édouard Lagraulet. Elle est équilibrée, efficace mais il reste des angles morts. Sur les 550 000 copropriétés françaises, on estime que 150 000 ne sont pas identifiées restent hors du champ des politiques publiques. Il est utile d’agir sur ce point. »

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